Exposition

Lara Bloy & Romain Bagouet

LARA BLOY & ROMAIN BAGOUET

LÀ OÙ L’ON SE PERD

Vernissage le jeudi 12 octobre 2023

à partir de 19h

Exposition visible du 12 octobre au 25 novembre 2023

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Catalogue des oeuvres disponibles sur demande par mail où par téléphone

contact@galerie-provost-hacker.com
+33 6 46 25 00 54

Informations Pratiques : ⁠

🗓 Du 12 octobre au 25 novembre 2023
📍Galerie Provost Hacker, 40 rue Voltaire
🗓 Du mardi au samedi, de 10h à 12h et de 14h à 19h

 

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Le Théâtre des corps de Lara Bloy et Romain Bagouet

Deux jeunes artistes, Lara Bloy et Romain Bagouet, s’associent pour explorer, dans une peinture qu’ils réalisent ensemble, l’espace pictural et les mouvements du corps, leur relief et sa perception. Le sujet principal de Lara Bloy étant secondaire au regard de celui de Romain Bagouet, et inversement, ils découvriront ensemble la part de sculpture, d’architecture ou de danse qui, de façon inédite pour chacun, irriguera cette création à quatre mains. Mais, pour en approcher la fusion, il faut observer le projet initial de chaque artiste, en amont.

Corps en quête d’espace

Avant le geste de peindre, Lara Bloy photographie : une image low-tech, produite avec une lumière sans effet et augmentée de retouches sur Photoshop. Cette photographie, esquisse numérique, introduit à la peinture de Lara Bloy : nombre d’or, quadrillage, l’artiste peint à partir de cette image dont le thème revient, avec insistance. Exploré, contourné, approché, le corps d’un personnage, souvent une jeune femme, y est en effet représenté en mouvement et, paradoxalement, figé dans une immobilité extatique. Corps en suspens dans son environnement, ou figure en déséquilibre dans un espace minimal ou absent, advient alors dans et à la peinture.

La chute des corps ou la flottaison d’un personnage, en état de syncope dans un décor vide et fictif, semble ainsi primer sur le fond, pictural, pour exprimer les passions intérieures qui, bel et bien, animent ces figures et le projet de Lara Bloy. Un ensemble d’oeuvres y résonne alors. La danse (en particulier japonaise du butō), la sculpture (contraintes, figures et douleurs de Rodin) et la peinture classique (Poussin, David, Géricault) ou contemporaine (Tim Eitel) sont des univers auxquels, devant ces portraits de jeunes femmes immobiles, attentives et sous tension, la sidération de leurs corps fait écho. Précisément. Les figures, certes très différentes, mais toujours incandescentes de jeunes femmes cyborg dans Ghost in the Shell, un film d’animation de Mamoru Oshii (1995), ou romantiques dans Portrait de la jeune fille en feu de Céline Sciamma (2019) participent également du musée intérieur de Lara Bloy.

Il y aurait donc un sous-texte derrière la part figurative, et si précise, des peintures de Lara Bloy. Moins hyper-réaliste qu’infra-réaliste (entre dessin anatomique et artificialité numérique), cette peinture est celle de l’intériorité, douloureuse, des sentiments que le corps en torsion représente et figure. Elle est celle de l’émotivité des personnages qui, statiques, statufiés, les met en mouvement : intériorité de la torsade et de la chute, matière, plis, drapés, ornement et couleur offerts, comme au fil d’un labyrinthe, au regard… Or s’il y a cette torsion dans la peinture de Lara Bloy, c’est peut-être pour évoquer le relief des figures de cire, que le poète romantique allemand Jean Paul avait décelé dans les images mentales, et leur récit virtuel… De la contemplation à sa théâtralisation ?

D’une surface d’horizon

En effet, le point de départ du travail de Romain Bagouet est, littéralement, une interrogation sur l’espace. « L’architecture a, depuis mon adolescence, toujours suscité un intérêt tout particulier, écrit-il pour présenter son travail. Pourtant destiné à ne jamais y mettre les pieds, mon parcours scolaire m’envoie au coeur d’un quartier prioritaire de ma ville. J’y découvre les grands ensembles. Ils deviendront très vite un sujet de fascination. Je m’intéresse autant aux architectes ayant eu pour référence le systématisme de Charles Gustave Stoskopf, qu’aux francs-tireurs et leurs mondes imaginaires, à l’image des cités construites par Émile Aillaudo u encore Renée Gailhoustet. » Son approche des grands ensembles urbanistiques, des immeubles identiques et répétés comme une série d’images, de leurs parallélépipèdesf ragmentés comme un volume, s’inscrit, par-delà l’interrogation sociale qu’elle porte inévitablement en creux, d’abord dans une histoire de la représentation.

Où le détail est précisément à l’origine de la peinture de Romain Bagouet. Le détail, et lap hotographie. Car, là encore, le peintre photographie avant de créer, notamment les grands ensembles urbains. Et, dans ces photographies préalables, il repère plus qu’un détail : il isole et agrandit un pixel de l’image. Cette exploration d’un fragment infinitésimal de la photographie devient alors une introspection du monde visible en peinture… Le réalisme de Romain Bagouet déréalise la réalité, dans la géométrie de ses séquences déconstruites, il l’arrache à elle-même, en délivre la poésie.

C’est cela le moment hypnotique de sa peinture. Telle fulgurance d’un tableau de Piet Mondrian, de Mark Rothko ou encore de l’École métaphysique italienne de Giorgio De Chirico y apparaît dans un détail, une ligne ou un fragment monochrome. Or, si Romain Bagouet défait bel et bien du réel sa représentation des grands ensembles c’est, au-delà de leur histoire du volume en peinture, pour en citer une surface d’horizon. Elle est évidente, présente en chaque toile, comme un appel du et une invitation au lointain. Est-ce la conséquence de ses recherches sur la perspective, complexe et paradoxale, simultanément plate et à perte de vue ? Un éloge de la liberté que dévoilent, par-delà les blocs et les lignes de fuite des immeubles, le bleu ou le gris du ciel si souvent reflétés dans les vitres de leurs fenêtres ?

Suspendre et retenir, le récit

De Sonia et Robert Delaunay à Andy Warhol et Jean-Michel Basquiat, de Claude Cahun et Marcel Moore à Anne et Patrick Poirier, de Joan Mitchell et Jean-Paul Riopelle à Gilbert & George ou Pierre et Gilles, créer en général ou peindre à quatre mains fascine régulièrement sans être, néanmoins, si souvent pratiquée. Fusionnel ou admiratif, le ressort relationnel en est connu et, toujours, essentiel. Pour Lara Bloy et Romain Bagouet, il s’agit, en l’occurrence, moins d’une complémentarité picturale que d’une association pour aller vers leur part d’inconnu, une forme de recherche de leur propre altérité. Abstraction, géométrie, art optique ou minimalisme y apparaissent alors par découpes, strates ou fragments (Romain Bagouet), et semblent attendre leur part de narration… C’est alors que le relief des images intérieures de Lara Bloy intervient.

Quand Lara Bloy privilégie la recherche sur le corps dans ses peintures, Romain Bagouet décline et approfondit la notion d’espace, et, maintenant, se sont les sujets de l’une qui vont irriguer ceux de l’autre, et inversement. Coagulation des centres d’intérêt… Telle agrégation repousse toutes limites : elle ouvre sur une nouvelle exploration. D’un point de vue technique en effet, Lara Bloy ou Romain Bagouet commence le tableau et chacun peut revenir sur le fond, la figure, l’espace ou le corps, leur motif : il n’y a pas de règles dans ce qui demeure, inévitablement, un dispositif ouvert (la peinture, comme une interprétation pianistique, à quatre mains). Il y a, dès lors, une nouvelle recherche sur l’espace et le corps que révèle leur travail commun : ses décors vides recouvrent une dimension théâtrale, voire cinématographique. Quant à l’image du corps, elle se détache du fond pictural, et sa figure produit une impression de relief, à l’instar d’images du rêve qui enclencheraient un potentiel récit… Vers une théâtralité pourtant sans narration ? Ou plutôt, sous une forme beckettienne : faire de la retenue du récit son projet.

Quand apparaît, dans cette scénographie sans dramaturgie, une certaine idée du double. Celle du duo d’artistes, mais aussi des images numériques à l’origine de ces peintures, et, enfin, de ces personnages, virtuels et en suspens, de leurs formes cybernétiques et picturales à la fois. Dans un espace cinématographique enfin, expressionniste (de Murnau à Fritz Lang), dans ce théâtre conceptuel (une peinture de néons), les ombres détourent des corps devenus légers, tortueux, denses dans l’espace, douloureux mais en apesanteur, aériens dans les volumes bidimensionnels de cette peinture, collective. Celle-ci pourrait fonctionner comme une illusion : l’immobilité en étant le point de départ et le mouvement sa recherche. Elle sera celle de la perception d’une histoire à inventer qui, énigmatique, retient son souffle.

Alexandre Castant

Alexandre Castant est essayiste, critique d’art, écrivain.

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