Exposition
JONONE
LA TENTATION DU DÉCOR
JONONE
La Tentation du décor
Au Musée de La Piscine de Roubaix
Exposition visible du 24 juin au 03 septembre 2023
JonOne : le graffiti qui reste.
Lady Lo : “Qu’est ce que le graffiti idéal pour toi ?”
JonOne : “C’est le graffiti qui reste”
John Andrew Perello, connu aussi comme JonOne, grandit dans les rues qui séparent le
quartier de Washington Heights de celui d’Harlem, à quelques pâtés de maison seulement
de l’Audubon Ballroom, où Malcolm X est assassiné en février 1965. Sa famille occupe alors
un appartement sur la 156ème rue, ce qui explique le choix de son premier blaze, Jon156.
Ses premiers pas dans le milieu graffiti ne passent pas inaperçus. JonOne se démarque et
ses acolytes lui reconnaissent un style unique en son genre que l’artiste décline sur les
murs, avant de s’attaquer aux métros de New York. À cette époque, pour JonOne, “le tag
était avant tout une raison de vivre . C’était le moyen le plus simple, rapide et efficace de
sentir la liberté couler dans ses veines.
Dans le graffiti, JonOne s’épanouit et trouve une voie pour fuir ce rêve américain
omniprésent dans les médias de son pays, dans lequel il a du mal à se projeter. Le choix
n’est pas difficile en même temps. La liberté, l’énergie vitale, le sentiment d’appartenance à
une vaste communauté qui partage l’esprit et la culture hip-hop le fascinent. Des films
comme Wild Style (1982), des documentaires comme Style Wars (1983) et des livres
comme Subway Art (1984) scandent cette époque spéciale dans la vie de JonOne. Ce sont
les années au cours desquelles il fonde le crew des 156 All Starz avec des amis comme
Rac7 et Kyle et mûrit, en même temps, tant sur un plan stylistique que sur celui technique.
Son approche freestyle au graffiti détonne toujours plus. Ses proches admirent la place qu’il
accorde à l’improvisation et l’écart qu’il creuse avec le figuratif et le style wildstyle. Mais il est
aussi parmi les premiers à peindre à l’acrylique des murs et des trains, quand voler les
bombes aérosol, comme cela s’était toujours fait dans le milieu graffiti newyorkais, devient
trop compliqué et risqué.
De l’Hôpital Éphémère à Roubaix
Les premières tentatives de JonOne de transposer sur toile les recherches entamées sur les
murs et les métros de New York datent de 1987, peu après son arrivée à Paris. Dans un premier temps,
le changement de support ne modifie pas sa matrice stylistique et sa palette, mais sa conception de
la peinture évolue grandement grâce à des rencontres. Pendant ses premières années à Paris,
JonOne vit et travaille dans différents squats, comme l’Hôpital
Éphémère où il se lie d’amitié avec A-One, un artiste new-yorkais venu lui aussi s’installer en
France, les graffeurs parisiens du Bad Boys Crew (BBC), qui cherchent eux-aussi à bâtir
une carrière d’artiste, ou une jeune styliste française qui se fait appeler agnès b. Se frayer
un chemin s’avère compliqué, voire même difficile, mais cette période reste un âge d’or aux
yeux de JonOne : “J’étais en paix avec moi-même. Je peignais des toiles très brut, dans
lesquelles je recherchais le même genre d’effet que les murs m’avaient jusque-là offert” .
Tranquille, concentré sur son travail, en échange perpétuel avec un cercle restreint d’amis et
d’artistes “avec qui je travaillais dans un esprit communautaire et partageais autant les
réussites que les échecs”, JonOne progresse aussi parce que les personnes qui l’entourent
“ne faisaient pas simplement du graff. Ils avaient une philosophie, des idées. Ils pensaient
comme des artistes. En trainant avec eux, ils m'ont apporté cette passion pour la peinture et
m'ont appris à ne pas simplement essayer de faire des choses éphémères”. De simples
superficies bidimensionnelles, dans lesquelles JonOne transpose la recherche entamée sur
les murs et sur les subways newyorkais, ses toiles s’animent. Elles acquièrent une
tridimensionnalité et se peuplent de personnages et de formes abstraites. “Cette évolution
de mon travail n’a duré que 5 ans. Mais ce furent 5 ans d’une intensité rare, d’une passion
grande pour la peinture”, admet encore aujourd’hui l’artiste.
Ce nouveau cours, JonOne l’inaugure en puisant dans la peinture moderne, dans l’action
painting et dans l’expressionnisme abstrait de Jackson Pollock. Il développe une pratique
autodidacte, qu’il affine au quotidien avec une discipline et une rigueur qui lui permettent de
se façonner une nouvelle identité picturale, notamment grâce à la répétition de signes
simples et à l’accumulation de tags. Cette proximité avec l’œuvre de Pollock ne se mesure
pas seulement dans le simple résultat d’une action picturale, d’ailleurs. Le geste-même de
l’artiste, le mouvement que son corps réalise pour peindre sont aussi des points communs
entre les deux peintres. Pollock travaillait ses toiles au sol, en les arrosant de peinture
acrylique (drip painting), pendant qu’il tournayait en état de transe autour de celles-ci,
répétant la danse que les chamans Navajo d’Arizona effectuaient pour dessiner sur le sable.
Pollock lui-même a décrit ce rapport si particulier à la toile et à l’expérience de la peinture :
“quand je suis dans mon tableau, je ne suis pas conscient de ce que je fais. C’est seulement
après une sorte de temps de "prise de connaissance" que je vois ce que j’ai voulu faire. Je
n’ai pas peur d’effectuer des changements, de détruire l'image, etc. parce qu’un tableau a sa
propre vie. C’est quand je perds le contact avec le tableau que le résultat est chaotique.
Autrement, il y a une harmonie totale, un échange facile, et le tableau est une réussite” .
Cette création en immersion, ainsi que l’idée d’être "dans le tableau" plutôt qu’en face de
celui-ci, est l’un des principaux points de contact entre l'œuvre de Pollock et celle de
JonOne. Mais les deux artistes partagent aussi une même vision du rôle du spectateur face
à leurs œuvres. Ce qu’ils demandent au public est de ne pas s’arrêter à la superficie de la
toile. Ils s’attendent à ce que le spectateur parte à la découverte des strates les plus
profondes de leur peinture, à travers un parcours d’observation, composé de phases
d’immersion et d’émersion, qui est le seul à donner accès à leurs univers artistiques
tridimensionnels.
De l’éphémère à l’intemporel
Pour étonnant que cela puisse paraître, l’exposition La tentation du décor à La Piscine de
Roubaix ne met pas à l’honneur la vaste production picturale des quinze dernières années
que le grand public associe aujourd’hui à JonOne. C’est une proposition plus inattendue et
plus variée qui est accrochée dans les salles. Ou, comme le dit l’artiste-même, c’est “une
vraie rétrospective. Des toiles anciennes y côtoient des œuvres d’autres périodes, parce que
je souhaitais montrer mon cheminement en tant que peintre, la diversité et l’évolution de
mon travail, ainsi que la manière dont mon langage s’est enrichi dans l’abstraction” 7 .
Lumière, couleur, improvisation, force, mouvement, joie de vivre, autant qu’un sentiment
d’effort physique envahissent ainsi la totalité du parcours, à la fois dans les premières salles,
consacrées à la peinture – celle de ses débuts, autant que celle plus récente -, et dans les
dernières, où l’artiste présente une production sur papier absolument fabuleuse et en partie
inédite. Dans ces espaces, le public averti reconnaîtra ses fameux dessins au tag noir, ainsi
que ceux que JonOne réalise à l’encre ou au feutre. Mais l’exposition dévoile aussi pour la
première fois au public une série absolument stupéfiante de trente-six dessins que l’artiste a
réalisé à New York au printemps 2020, alors que de manière inattendue il se retrouve
confiné dans l’appartement de sa mère. Loin de son patrie d’adoption, bouleversé par la
récente disparition de son frère, bloqué dans un appartement qui n’est pas le sien et d’où il
ne peut pas sortir, JonOne redécouvre le dessin : “même si j’adore dessiner et j’ai toujours
avec moi des carnets et des crayons pour dessiner quand je voyage, je n’avais pas dessiné
comme ça depuis longtemps” 8 . C’est peut-être pour cette raison que cette série d'œuvres
sur papier s’écarte autant des autres présentées dans l’exposition. “La mort de mon frère, la
pandémie, la solitude, le retour aux sources à New York. Je me suis retrouvé face à face
avec mon passé, obligé à gérer des émotions fortes” 9 . Au cours de ces semaines, le dessin
devient presque une échappatoire pour JonOne et un stratagème pour chercher au plus
profond de son âme “cette couleur, cette envie, ce monde magique avec lequel je suis
toujours en dialogue” 10 . La production en soi ne l’intéressait pas : “je n’avais pas juste envie
de dessiner. Je voulais me perdre dans le dessin pour échapper à la réalité. C’est pour cela
que les couleurs et les formes de chaque dessin sont si différentes d’une feuille à l’autre” 11 .
Rien d’étonnant donc à ce que JonOne revendique aujourd’hui d’avoir “mis beaucoup de
moi dans cette série de dessins. Je les vois comme un journal intime, mais aussi comme un
zoom sur mes grandes toiles”.
Présentés aux côtés de ses tableaux datant de la période de l’Hôpital Ephémère, ainsi que
d’une sélection limitée de ses toiles les plus récentes, cet ensemble représente en effet une
synthèse cohérente d’une production qui dépasse aujourd’hui les 8000 oeuvres et qui
ambitionne désormais de s’inscrire dans l’histoire. “Je suis très fier de voir mes œuvres
exposées à la Piscine de Roubaix” avoue l’artiste. “Être exposé aux côtés des grands
maîtres du passé a toujours été mon but principal. Ton discours change complètement
lorsque tu commences à exposer dans les musées. Ton art commence à représenter une
époque. Le public te regarde différemment” .
C’est une évolution que JonOne assume pleinement d’ailleurs. Et qui suscite en lui le désir
de transmettre un message intemporel non seulement au public d’aujourd’hui, mais aussi à
celui de demain. “Après des années dans la rue, je cherche un nouveau type de complicité
avec ceux qui aiment mon travail. Plus concret, plus profond. Je réfléchis aussi au fait que
mon travail est éphémère, [alors que] je veux laisser une trace” . Le JonOne que le public
découvre à La Piscine n’est donc plus celui d’il y a quelques années, mais un artiste qui a
pris du recul par rapport à son propre parcours, un artiste qui sait ce qu’il veut faire :
“travailler pour l’éternité. Je voudrais que ma peinture, avec son abstraction, représente une
génération, qu’elle soit reconnue par les institutions comme de la peinture, que je sois
complètement accepté, sans rester un pied dedans et un pied dehors, dans la rue” 15 . Qu’il
s’agisse de graffiti ou de peinture, peu importe finalement, parce que ce qui compte par-
dessus tout est pour JonOne que ce soit un art qui reste.
Christian Omodeo
Photographie : Alain LePrince
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Catalogue des oeuvres disponibles sur demande par mail où par téléphone
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+33 6 46 25 00 54
Informations Pratiques :
🗓 Du 24 juin au 03 septembre 2023
📍Musée de La Piscine de Roubaix
🗓 Du mardi au jeudi de 11h à 18h, vendredi de 11h à 20h, samedi et dimanche de 13h à 18h