EXPOSITION

Hypnotic

Nos addictions, les obsessions concernant notre santé et notre sécurité, notre armoire à pharmacie emplie des ses médicaments, mais également nos tocs, nos compulsions, nos gestes fébriles, nos recettes médicinales, nos croyances, nos névroses, nos angoisses, nos déprimes, nos maladies inavouables,… en somme tous les éléments qui constituent le secret médical sont scrutés, décortiqués, analysés, observés sous microscope et mis en forme par Jeanne Susplugas. Quel que soit le matériau et la technique employée (dessin à l’encre ou au feutre, céramique, photo, vidéo, installation, lumière) ils répondent plastiquement à cette fascination, hypnotique même, puisque c’est le titre que l’artiste donne à cette exposition, qui traduit précisément cette attirance mais aussi l’enfermement dans lequel il peut nous plonger, attraction/répulsion, donc. Et nous nous sentons tous concernés par ces questions, puisque l’artiste mêle avec subtilité, personnel et collectif, vie quotidienne et ordinaire à une sorte de poésie visuelle et littérature.
Si l’artiste ne dénonce pas frontalement, elle attire notre attention sur notre environnement et nos comportements. Les objets qu’elle choisit de mettre en scène recèlent une beauté vénéneuse, car dans un premier temps on se laisse séduire par leur aspect formel et leur familiarité. Un arbre généalogique, une harmonieuse disposition de flacons blancs, de charmantes maisonnettes d’où pendent des objets retenus par des fils comme des cordons ombilicaux, un abri lumineux. Cependant, passé ce premier regard, une seconde grille de lecture s’impose au visiteur, il perçoit confusément que derrière ce côté beau et attirant se glisse un sens plus lourd. Toutes sortes d’entrées qui mènent à d’autres pistes de compréhension possibles, plus complexes et sensibles. La maison de lumière se mue en cage, prison ou camisole chimique, le pilulier peut évoquer les cases de la morgue où sont inscrit des prénoms, les flacons de médicaments nous révèlent un message subliminal sur nos distorsions… De même dans la toute dernière série de dessins, l’arbre porte des fruits qui nomment en réalité des pathologies plus ou moins graves. Des affections connues et surtout inconnues aux noms absurdes et les feuillages tissent des liens affectifs entre les membres d’une même famille. L’arbre généalogique ne se contente plus d’égrener des identités, il fait réfléchir sur le poids de la famille, tout cet héritage avec lequel on est bien obligé de composer, fait de troubles qui se transmettent de génération en génération, mais également parle des drames de la vie, maladies, accidents, décès, divorces, remariages, faits importants, traumatismes personnels et familiaux, conscience et inconscient, transmission et non dit…
La maison, la boîte, l’arbre… tour à tour et de manière ambivalente, ces œuvres se laissent percevoir comme le lieu intime, qui protège et rassure mais ils peuvent également nous amener à basculer dans une sensation d’étouffement. La même opposition est à l’œuvre dans la problématique du médicament qui réunit soin et menace dans le même temps, assistance et danger, prévention et sur protection, habitude et addiction, care et cure. A l’évidence le travail de Jeanne Susplugas parle de notre société, sur un ton qui n’est pas neutre.

Isabelle de Maison Rouge

Jeanne Suspluglas

Engagée, la démarche de Jeanne Susplugas s’en prend à toutes les formes et toutes les stratégies d’enfermement. Elle n’a de cesse d’interroger les relations de l’individu avec lui-même et avec l’autre, face à un monde obsessionnel et disfonctionnel. Elle explore différents médiums pour créer une esthétique singulière, séduisante en apparence mais vite inquiétante et grinçante. Un travail très cohérent et précis qui met le regardeur face à des sensations contradictoires – troublé et rassuré, inquiet et serein.

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